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ANNEXES

Annexe 1 de l’édition originale

L’HISTOIRE DE LA SCIENCE DU STRESS

Tel que promis dans la seconde édition de Par amour du stress (2020), je vous présente ci-bas l’annexe 1 traitant de l’histoire de la science du stress.  Cet annexe n’apparaît plus dans la nouvelle édition de Par amour du stress, mais l’histoire demeure la même !


En lisant l’histoire du stress, on s’aperçoit que l’élément déclencheur de toute la science du stress fut les deux guerres mondiales de 1914-1918 et 1939-1945.  Deux raisons expliquent ce fait.  D’abord, lors des deux guerres mondiales, les médecins de l’armée observèrent que beaucoup de soldats montraient, en plus des blessures liées à la guerre, un état de choc traumatique.  Ils demandèrent donc à des chercheurs spécialisés en physiologie et en pychologie de les aider à mieux comprendre cet état.  A ce moment de l’histoire, les chercheurs spécialisés en physiologie (étude des mécanismes physiologiques à la base de la vie) et ceux spécialisés en psychologie (étude de l’état mental d’un individu) n’interagissaient pas et aucune étude multidisciplinaire n’existait.  Les chercheurs se spécialisaient dans leur domaine de recherche et tentaient de tout expliquer par leurs résultats.  Ceci résultera à une scissure importante de l’étude du stress en ses domaines physiologiques et psychologiques.

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En second lieu, lors de la deuxième guerre mondiale, beaucoup de chercheurs européens décidèrent de quitter le continent, question d’éviter d’aller à la guerre et de pouvoir poursuivre leurs expériences.  De manière intéressante, une grande majorité de ces chercheurs vinrent s’installer aux Etats-Unis et au Canada et un nombre important s’installèrent à Montréal car plusieurs chercheurs reconnus à l’échelle mondiale pour leurs études sur le stress étaient installés à Montréal.  C’est donc la présence de deux guerres mondiales qui mit en place la recherche sur le stress et qui fit de Montréal l’une de ses sphères centrales.

Comment ‘avoir l’air malade’ a mené au concept de stress

Ainsi, l’étude approfondie du stress a débuté à Montréal.  Le professeur Hans Selye, médecin autrichien, avait accepté un poste d’interne de médecine à Montréal en 1932.  Dans son auto-biographie, il raconte que lorsqu’il avait fait ses études de médecine à l’Université de Prague, il devait, comme tous les étudiants de médecine, accompagner le grand patron de son département lors de ses visites de patients affectés de toutes sortes de conditions médicales, dans le but d’en observer les symptômes.  En examinant de près les symptômes de chaque patient souffrant de diverses maladies (comme une jaunisse qui provoque chez le patient un teint jaunâtre ou encore les désordres pulmonaires qui occasionnent chez le malade des difficultés de respiration), le futur médecin pouvait ensuite reconnaître les mêmes symptômes chez un nouveau patient, facilitant ainsi l’établissement d’un diagnostic.

Le Docteur Selye jugeait cette activité fort ennuyeuse.  Par contre, une chose l’intriguait au plus haut point.  Il avait en effet observé au cours de ces nombreuses visites de patients que peu importe ce dont ils souffraient individuellement, ils avaient tous une même chose en commun, ils avaient tous “l’air malade”. Par exemple, bien que le patient souffrant d’une jaunisse affichait une teinte jaune, tandis que le patient souffrant d’une condition pulmonaire présentait un souffle court (donc des symptomes très différents), les deux patients avaient ce point en commun qu’ils avaient tous deux “l’air malade”.  De plus,  il nota que ces deux personnes affligées de maladies complètement différentes, arboraient pourtant des particularités physiques communes, tel une langue plutôt épaisse et blanchâtre, se plaignaient de douleurs aux articulations et de troubles intestinaux accompagnés de pertes d’appétit.

Devant cette observation, Dr.Selye se dit qu’il devait y avoir un processus bien particulier associé à chaque maladie, quelle qu’elle soit, qui donnait aux patients cet “air malade”.  Il commença donc à penser que cette réaction du corps qui provoque un air maladif  représentait de fait « …la réponse non spécifique que donne le corps à toute demande qui lui est faite[1]. », expliquant le tout de la façon suivante : quand nous sommes exposés au froid, notre corps répond en frissonnant (pour produire de la chaleur) et les vaisseaux sanguins de la peau se contractent (pour réduire la perte de chaleur). Le corps fournit donc deux réponses spécifiques. Si nous sommes exposés à la chaleur, nous allons transpirer pour que l’évaporation de l’eau produise un effet de rafraichissement. Une autre réponse bien spécifique. Par contre, quand une maladie attaque le corps, celui-ci semble produire une réponse non-spécifique en ce sens qu’elle est semblable pour toutes les conditions et inclut cet air malade, cette langue épaisse, ces douleurs musculaires et intestinales. Quelle pouvait être le mécanisme à la base de cette réponse non-spécifique?

Ses études de médecine terminées, Dr. Selye oublia quelque peu cette observation et décida de poursuivre une carrière en recherche. À cette époque, il décida d’entreprendre des recherches sur les hormones, ces substances produites par les glandes du corps (les ovaires, les glandes surrénales, la thyroide etc.) et qui ont des effets très variés sur l’organisme.  C’est à l’âge de 28 ans, en 1934, alors qu’il poursuivait ses recherches au département de biochimie de l’Université McGill que Dr. Selye découvrit, un peu par accident, ce qu’il appellera par la suite la ‘réponse biologique de stress’.

En effet, à ce moment de l’histoire médicale, plusieurs laboratoires dans le monde s’efforçaient sans relâche à découvrir de nouvelles hormones. Tous les chercheurs travaillaient d’arrache-pied sur ce problème et l’une des méthodes les plus fréquemment utilisées en laboratoire pour découvrir une nouvelle hormone était d’injecter des extraits d’une glande quelconque (par exemple des ovaires) dans un cobaye et d’en mesurer la réaction.  Ainsi, pour obtenir un extrait d’ovaires, on prenait la glande ovarienne d’un animal et on la ‘triturait’ en menus morceaux qui constituaient alors de l’extrait ovarien. Ignorant précisément le contenu de l’extrait d’ovaire qu’il injectait, le Dr. Selye et ses collègues se disaient que si l’injection de l’extrait de cette glande produisait des effets sur l’animal qui la recevait, on devait conclure que dans l’extrait ovarien injecté, il y avait une hormone (encore non identifiée) qui induisait les effets observés sur l’animal.

Au cours de ses premières expériences, Dr. Selye injecta des extraits d’ovaires à des rats et observa que les rats développaient alors une myriade de réactions qui incluaient un élargissement des glandes surrénales (les glandes surrénales sont deux petites glandes qui sont localisées au dessus des reins), une atrophie (diminution) de la grosseur du thymus (un organe glandulaire situé à la partie inférieure du cou), des noyaux lymphatiques, ainsi que des ulcères de la paroi de l’estomac et du duodénum (début de l’intestin grêle).  Il fut étonné par cette découverte et découvrit par la suite que l’ampleur de ces réactions pouvait être augmentée ou diminuée proportionnellement au volume d’extraits ovariens injectés. Dr. Selye fut tout excité de cette découverte car il était persuadé qu’avant d’atteindre la trentaine, il venait de découvrir une nouvelle hormone.

Son euphorie fut de courte durée, car lorsqu’il entreprit d’injecter des extraits d’autres glandes (placenta, glande pituitaire etc.) à d’autres rats, il observa à sa stupéfaction les mêmes effets sur l’organisme de ces cobayes.  Comment se pouvait-il que des extraits de différentes glandes puissent donner lieu aux mêmes conséquences sur le corps?  Il était impossible qu’une seule et même hormone se cache dans toutes ces glandes. Plutôt que de baisser les bras, Dr. Selye poursuivit donc ses recherches et injecta cette fois aux rats des extraits d’organes autres que ceux provenant des glandes (et qui ne peuvent donc pas produire des hormones), tels des extraits de reins, spleen et autres organes.  Encore une fois, il fut estomaquée de constater les mêmes effets délétères sur l’organisme, tel un élargissement des glandes surrénales et des ulcères de l’estomac. Le mystère était complet.

La persévérance est la première qualité du scientifique et Dr.Selye en était doué.  Il décida donc un jour d’injecter au rat de la formaline, une substance synthétique (et donc, non produite par le corps) utilisée en laboratoire pour la préparation des tissus pour étude au microscope. Encore une fois, il observa les mêmes effets sur l’organisme des rats injectés.  Face à ce résultat inconpréhensible, Dr. Selye avait deux options.  D’une part, il pouvait laisser tomber ce domaine de recherche et se tourner vers d’autres domaines scientifiques. Il savait fort bien que beaucoup de laboratoires de par le monde se menaient une lutte féroce pour découvrir de nouvelles hormones, une tâche colossale et parsemée d’embûches, sans mentionner les accrochages personnels et professionnels entre chercheurs[2].  D’autre part, il pouvait décider de poursuivre l’étude de ce résultat intriguant et de tenter de comprendre ce qui se passait.  C’est l’option qu’il choisit et elle se révéla fructueuse.

C’est alors que Dr. Selye se rappela ses observations recueillies auprès des malades qu’il visitait lors de son internat.  Il se souvint  du fait que peu importe ce dont le malade souffrait (jaunisse ou trouble pulmonaire), tous les patients montraient des caractéristiques communes tels un air malade, un épaississement de la langue, et des douleurs abdmoninales et articulaires.  Il comprit alors que cette observation ressemblait à ce qu’il avait pu constater auprès des rats, auxquels il avait pu injecter des extraits de glandes, d’organes ou même de drogues et qui produisaient pourtant tous les mêmes effets sur l’organisme de ces cobayes.

Interloqué par cette observation, il décida donc de poursuivre ses recherches et cette fois-ci, au lieu d’injecter aux rats des extraits de glandes ou d’organes, il décida de les soumettre à différentes conditions adverses,  telles un accroissement ou une chute abrupte de température, histoire d’en analyser l’impact sur l’organisme.  Quelle ne fut pas sa surprise de se rendre compte que chacune de ces expériences, sans exception, provoquait chez les cobayes exactement la même myriade de symptômes observés dans ses recherches antérieures.  Le chercheur fut donc forcé de conclure que bien au-delà de la maladie spécifique qui affectait un individu donné ou des conditions adverses auxquelles il était soumis, le corps générait une réponse non-spécifique à la maladie ou aux attaques extérieures.  Pire encore,  il découvrit que cette réaction pouvait en soi tuer l’organisme si elle n’était pas contrôlée.  Le chercheur venait de découvrir ce qu’il appela à l’époque le ‘Syndrôme de l’adaptation générale’, c’est-à-dire la réponse caractéristique mais non-spécifique que le corps produit lorsqu’il est soumis à des conditions adverses, telles la maladie.  Un peu plus tard dans sa carrière, vers 1936, Dr. Selye empruntera le terme de ‘stress’ aux ingénieurs et décrira la réponse initiale du corps à diverses attaques (maladies, extraits de glandes ou d’organes etc)  sous le vocable de ‘réponse de stress’.

Dr. Selye souligna que le stress était la réponse spécifique du corps à des conditions non-spécifiques.  Ce que cela voulait dire était que peu importe la nature de l’attaque que pouvait subir un corps, il réagira par une réponse bien particulière (la réponse de stress ou le syndrôme d’adaptation générale), qui inclut l’air malade, l’épaississement de la langue, les douleurs abdominales, et l’ulcère d’estomac. Bref, quelle que soit l’attaque sur le corps, ce dernier réagirait toujours de la même façon, c’est-à-dire par une réponse de stress qui affectera le corps.

Selye publia en 1936 dans la revue scientifique ‘Nature’ un court article décrivant les résultats de ses recherches et sa description du syndrôme d’adaptation générale.  Par contre, bien que ces observations aient été intéressantes, elles ne permettaient pas de conclure sur la nature précise du mécanisme exact qui générait cette réponse de stress, et encore plus  important, par quel processus physiologique cette réaction pouvait-elle devenir néfaste pour le corps ?. En effet, en science, la découverte du Dr. Selye n’était qu’une donnée empirique, c’est-à-dire un résultat obtenu au moyen de l’observation des effets de différentes conditions sur le corps.  On savait donc que lorsqu’on expose un corps à des maladies ou à des attaques extérieures, celui-ci génère une réponse qui fait en sorte de l’organisme développe un air malade, des douleurs musculaires et abdominales et un épaississement de la langue.  Ceci est une observation fort utile, mais si on veut avancer en science, il faut aussi comprendre le mécanisme exact par lequel de telles attaques peuvent induire un tel état.  Quelle est la substance produite par le corps lors de maladies ou d’attaques extérieures qui fait en sorte que cette réponse non-spécifique se développe?  Et pourquoi cette réponse non-spécifique du corps se développe-t-elle?  Est-elle présente pour protéger le corps ou contribue-t-elle à le détruire?

Devant ces interrogations, Selye décida donc de poursuivre ses recherches.  A ce point de sa carrière, Selye accepta un poste à l’Université de Montréal qui lui offrait de mettre sur pied un Institut de médecine qui se spécialiserait dans l’étude du stress.  La renommée de Selye était déjà grande à cette époque et beaucoup d’étudiants à travers le monde se bousculaient pour avoir le privilège d’étudier sous sa direction.  C’est alors que Selye décida de tenter de comprendre comment se produisait cette réponse de stress.  Pour débuter, il décida de se concentrer sur une seule des manifestations de la réponse non-spécifique du corps, question de ne pas compliquer les choses.  Il se demanda donc ce qui pouvait bien induire l’atrophie du thymus lorsque les rats étaient soumis à des conditions stressantes.  Il fit l’expérience suivante.  Il soumit des rats à des stress physiques tels le froid et la chaleur intense (qu’il nomma les ‘stresseurs’) et observa que leurs corps produisaient la réponse typique de l’atrophie du thymus (l’une des caractéristiques de la réponse physiologique de stress).  Il se dit qu’il pourrait découvrir l’origine de cette atrophie si, systématiquement, il enlevait différentes glandes du corps de l’animal et observait le résultat final.  En effet, si la réponse du corps à l’attaque du froid ou du chaud provenait d’un message envoyé par une glande, alors l’ablation de cette glande devrait prévenir l’atrophie du thymus.  Après plusieurs tentatives, il observa que lorsque l’animal avait subi l’ablation des glandes surrénales, deux petites glandes couchées sur les reins, l’atrophie du thymus cessait de se produire lorsque l’animal était soumis à des conditions adverses.

Avec ce résultat, il démontra hors de tout doute que le message de base qui provoquait l’atrophie du thymus provenait des glandes surrénales. Ce résultat concordait avec l’élargissement de ces petites glandes qu’il avait aussi observé lorsque les animaux étaient soumis à des conditions adverses.  En effet, toute glande qui produit des substances en grande quantité s’élargira en volume.  Il en conclut donc que les glandes surrénales devaient produire une substance ou une hormone qui induisait l’effet néfaste sur le thymus.  Pour tester son hypothèse, il injecta des extraits de la glande surrénale aux animaux et observa encore une fois les changements typiques observés dans le thymus.  Clairement, il existait dans la glande surrénale une substance qui induisait la réponse non-spécifique de stress décrite par Selye.

A ce stade de ses recherches, une question évidente émergea pour Selye :  Comment est-ce que la glande surrénale peut savoir lorsqu’il y a une condition de stress et donc, un besoin de produire cette substance?  En d’autres termes, d’où part le message pour dire aux glandes surrénales de produire cette substance qui a tant d’effets néfastes sur le corps?  A ce point des études de Selye, la recherche de nouvelles hormones avaient mené les chercheurs à comprendre que la glande pituitaire, qui est une toute petite glande située à la base du cerveau, produit aussi des hormones.  Fort de ces données, Selye décida d’enlever la glande pituitaire et voir s’il pouvait encore induire une atrophie du thymus lors de conditions adverses.  Il découvrit que lorsque la glande pituitaire était absente et que l’animal était soumis à des conditions adverses, on n’observait aucun effet sur le thymus.  A l’inverse lorsqu’il injecta l’hormone produite par la glande pituitaire (l’ACTH), il put produire les effets sur le thymus.  Il venait de découvrir que pour pouvoir produire la substance qui causait la réponse de stress, la glande surrénale devait recevoir un message de l’hormone ACTH provenant de la glande pituitaire.

Quelques années plus tard, l’ancien étudiant de Selye, Dr. Guillemin et son féroce adversaire Dr. Harris découvrirent tous deux que pour pouvoir produire de l’ACTH, la glande pituitaire devait elle aussi recevoir un message d’une autre glande appelée l’hypothalamus.  Située dans la partie centrale du cerveau, cette glande produit une hormone appelée le CRF.  Lorsqu’il y a une condition adverse, l’hypothalamus produit du CRF qui voyage jusqu’à la glande pituitaire pour permettre la production d’ACTH.  L’ACTH produit par la glande pituitaire voyage alors dans le sang pour aller activer les glandes surrénales qui produiront la substance qui présente les effets adverses décrits par Selye.  Le mécanisme exact de la chaîne d’événements qui surviennent lors de l’exposition à des conditions adverses venait d’être découvert.  Mais il restait une chose très importante à découvrir.  Quelle est cette substance, produite par la glande surrénale, qui mène aux effets néfastes décrits par Selye lors de conditions de stress?

La découverte des hormones de stress 

Remontons encore un peu l’histoire.  En 1849, un médecin appelé Thomas Addison observa que plusieurs patients se présentant à lui montraient tous un syndrôme très bizarre.  Ces patients se présentaient en se plaignant d’une très grande fatigue, ils avaient le teint pâle, présentaient une perte importante de la force musculaire et avaient la peau du visage, et du corps très brune (d’où le nom initial de ‘maladie de la peau foncée’ donnée à ce syndrome, avant de le changer pour la ‘maladie d’Addison).  Puis, apparaissaient les pertes d’appétits suivies d’une fatigue extrême et de la mort.  Addison fut capable de faire l’autopsie de 3 patients et observa que dans tous les cas, il y avait une atrophie (une diminution du volume) d’une petite glande assise sur les reins, les glandes surrénales.  Un autre médecin appelé Charles-Edouard Brown-Sequard entrepris tout de suite des expériences sur les animaux auxquels il enleva la glande surrénale.  A tous les coups, les animaux commencèrent à présenter des symptômes similaires à ceux des malades du Dr. Addison et moururent.  Dr. Brown Sequard en conclut donc que cette petite glande contient une substance qui est nécessaire à la vie.

En étudiant cette glande, les chercheurs observèrent qu’elle contient deux parties distinctes, qu’ils nommèrent la médulla (le milieu de la glande) et le cortex (le pourtour de la glande).  En 1901, les chercheurs isolèrent une substance de la médulla qu’ils nommèrent l’adrénaline et découvrirent que l’adrénaline était une hormone.  Ils se mirent alors à en étudier les effets sur le corps.

C’est en 1919, par une séries d’événements extraordinaires, que le rôle de l’adrénaline sur le corps fut découvert par Dr. Walter Cannon. Celui-ci débuta sa carrière en étudiant le fonctionnement de l’appareil digestif.  Alors qu’il travaillait à une expérience, il observa que lorsque l’animal était soumis à des conditions qui pouvait lui faire peur ou le rendre inconfortable (tel la douleur), les mouvements péristaltiques de son estomac cessaient abruptement.  Il entreprit donc d’étudier cet effet plus en profondeur et observa que lors de conditions adverses, l’animal produisait aussi de l’adrénaline.  C’est en étudiant les conditions sous lesquelles la médulla peut produire de l’adrénaline que Dr. Cannon en vint à définir la réponse de ‘combat-fuite’ (communément appelée en anglais la réponse ‘fight or flight’).  Ainsi, il démontra que devant un danger immédiat, il y a production d’adrénaline par la médulla de la glande surrénale (qui se produit par l’activation d’un système complexe appelé le système nerveux sympathique).  Il démontra ainsi que la production de cette hormone sert à aider l’organisme à mobiliser assez d’énergie pour soit combattre le danger ou fuir si celui-ci est trop important, assurant ainsi la survie de l’individu.  Il en vint donc à développer sa théorie selon laquelle l’exposition à une émotion intense telle la peur ou le danger mène à une production d’adrénaline qui permet à l’individu de mobiliser l’énergie nécessaire pour combattre ou fuir la menace.

En 1914, la première guerre mondiale éclata et les médecins de l’armée britannique commencèrent à observer un état de choc septique chez les soldats.  Ce choc se présentait par une diminution abrupte de la tension artérielle, pouvant mener à la mort.  L’armée britannique demanda alors au Dr. Cannon de l’aider à mieux comprendre les états de chocs septiques observés chez les soldats.  Dr. Cannon passa donc plusieurs années sur les champs de batailles (en dépit d’une femme et de 5 enfants à la maison) à tenter de mieux comprendre cet état de choc et de le traiter.  Il observa alors que lors de l’état de choc, il y a une diminution importante de la circulation sanguine qui, lorsque remise en équilibre, peut permettre d’éviter la mort.  Ceci contribua à développer la notion d’homéostasie proposée par Dr. Cannon à son retour de la guerre.  Il décrivit l’homéostasie comme étant la régulation physiologique, faite par le corps, pour maintenir un état stable.  Par exemple, une diminution abrupte de glucose dans le sang sera rétablie par la production d’autres substances qui aideront à rétablir l’équilibre.  Sans cet équilibre, l’organisme ne peut fonctionner et meurt.

 

A qui doit-on attribuer le terme de ‘stress’ ?

C’est le débat du siècle dans la science du stress !  La majorité des auteurs vont attribuer la paternité du terme ‘stress’ à Hans Selye qui le décrivit pour la première fois en 1936.  Toutefois, dès 1934, Walter Cannon parlera aussi de ‘stress’ dans ses recherches et plusieurs chercheurs attribueront donc la patrernité du terme ‘stress’ à Cannon plutôt qu’à Selye.  Toutefois, une différence majeure existait dans la définition du terme ‘stress’ par Cannon et Selye.  Pour Cannon, le terme de stress référait à toute condition externe qui peut affecter l’homéostasie et induire une production d’adrénaline.  Ainsi, pour Cannon, le stress n’était qu’un mot pour décrire les différentes conditions (chaud ou froid intense, peur, conditions adverses etc.) qui produiraient une réponse néfaste sur le corps. Selye fut toutefois le premier à identifier la réaction physiologique non-spécifique du corps à toute attaque extérieure, ce qu’il appela le stress.  Tel que mentionné plus tôt, il emprunta ce terme à l’ingénierie qui l’avait utilisé pour la première dans les années 1935. Il trouva ce terme d’ingénierie approprié, car en avionnerie, par exemple, on peut ‘stresser’ le métal à tel point qu’à un certain moment, il se brisera comme du verre.  Le terme de ‘stress’ passera donc du domaine de l’ingénierie à celui de la médecine et au langage populaire par l’entremise de Selye. 

Cette nouvelle utilisation du mot ‘stress’ pour dénoter la réaction non-spécifique du corps, plutôt que l’agent extérieur qui peut l’induire, a donc mené Selye à dire qu’il avait découvert le stress. Cannon ne décrivit jamais aucune ‘théorie du stress’ et passa l’ensemble de sa carrière à travailler sur la réponse combat-fuite, qui comme nous le verrons plus tard, fait partie intégrante des nouveaux modèles de stress.  Pour marquer la distinction entre le stress comme étant l’agent extérieur qui attaque le corps et le stress comme étant la réponse du corps, Selye utilisa dans tous ces articles et livres le mot stress avec un ‘S’ majuscule.  Le Stress de Selye devint donc un concept en soi.  Aujourd’hui, les deux concepts de Cannon et Selye sont utilisés en recherche.  On parle de ‘stresseur’ pour décrire les conditions adverses qui peuvent mener à une ‘réponse de stress’ qui est la production d’hormones de stress qui peuvent avoir des impacts sur le corps et le cerveau. 

Toutefois, bien avant que Cannon et Selye discutent de stress, le terme était déjà utilisé au 17ème siècle pour décrire les différentes épreuves de la vie.  Au 18ème et 19ème siècle, sa signification évolua pour réfléter des notions comme la pression, la tension qu’une personne peut vivre et c’est cette utilisation du termes de stress qui mena à sa première utilisation en ingénerie et à son utilisation ultérieure par les tenants de l’approche psychologique du stress.

Revenons aux travaux des Drs. Addison et Brown-Sequard qui démontrèrent que la glande surrénale devait contenir une substance qui serait nécessaire à la vie.  En étudiant cette glande, les chercheurs observèrent que sa partie centrale, la médulla, produisait de l’adrénaline, hormone impliquée dans la réponse combat-fuite.  Mais était-ce cette hormone qui était nécessaire à la vie ?

La recherche se poursuivait sur les différentes hormones produites par les glandes surrénales, et une attention toute spéciale était maintenant portée sur la seconde partie de la glande surrénale, le cortex.  Les chercheurs observèrent rapidement que dans cette partie de la glande, les hormones étaient très difficiles à extraire du tissu, contrairement aux hormones de la médulla.  Ainsi, pour pouvoir extraire de larges quantités de substances de la glande surrénale dans le but de les étudier, les chercheurs travaillaient sur les glandes surrénales de boeuf, qui pouvaient leur être envoyés en grande quantité par les différentes fermes environnantes et les abattoirs.

A ce moment, une recherche fut publiée par des chercheurs de la clinique Mayo dans laquelle les auteurs affirmaient qu’un extrait du cortex des glandes surrénales de boeuf pouvait maintenir en vie les patients Addison.  Quelle découverte !  Très rapidement, les patients souffrant de la maladie d’Addison reçurent de larges doses d’extraits de glandes surrénales de boeuf — remarquez que l’histoire ne dit pas si l’élixir avait bon goût !  Par la suite, des études animales montrèrent que si on enlève les glandes surrénales d’un animal, on peut le maintenir en vie par ces extraits de glandes surrénales de boeuf.  On venait encore ici de découvrir qu’une substance, présente dans le cortex des glandes surrénales, permettait la survie de l’individu.

Toutefois, pour pouvoir extraire de larges quantités de substances qui seraient efficaces chez les patients souffrant d’une maladie d’Addison, cela prenait un nombre effarant de glandes surrénales de boeuf.  Il fallait donc parvenir à identifier et à isoler la substance exacte, contenue dans le cortex des glandes surrénales de boeuf, qui pouvaient maintenir en vie les patients souffrant de la maladie d’Addison.  Ce travail fut entrepris par Dr. Kendall qui au cours des années 1930 à 1940, isola quatre hormones du cortex de la glande surrénale qu’il nomma les substances A, B, E et F.  Plus tard, les chercheurs découvrirent que la substance E (appelée aujourd’hui cortisol) était la substance active dans la réponse de stress et dans la survie de l’animal.  C’était donc la portion du cortex de la glande surrénale qui était à l’origine des effets positifs des glandes surrénales de boeuf chez les patients souffrant de la maladie d’Addison.

A ce moment de l’histoire, la deuxième guerre mondiale éclata en Europe.  Dès le début de la guerre, les différents organismes de recherche européens décidèrent de mobiliser les chercheurs pour tenter d’aider les soldats partis au front.  A ce moment, la mode scientifique était aux glandes surrénales de boeuf et à ses potentielles vertus pour sauver des vies.  A ce titre, l’attention de l’armée européenne était portée sur une rumeur voulant que l’Allemagne achetait de larges quantités de glandes surrénales de boeuf en Amérique du Sud pour en faire des extraits à administrer aux soldats.  On disait que les extraits de glandes surrénales de boeuf étaient utilisés pour contrecarrer l’hypoxie (qui est une oxygénation insuffisante des tissus ; après 20 à 30 secondes d’hypoxie, le cerveau ne fonctionne plus) des pilotes allemands, leur permettant ainsi de voler à de plus hautes altitudes.  De plus, on disait que les extraits de glandes surrénales de boeuf étaient utiles pour prévenir le choc septique des soldats blessés à la guerre.

Un large effort de guerre fut donc entrepris pour tester les vertus des extraits de glandes surrénales de boeuf sur la résistance à l’hypoxie et le choc septique des soldats européens.  Toutefois, les études entreprises sur ce sujet furent toutes négatives et ne furent d’aucune utilité pour aider les soldats européens.  Par conséquent, la presque totalité des chercheurs cessèrent de travailler sur ce sujet vers la fin de la guerre, en 1944.  Seuls deux groupes de recherche persistèrent, ceux de la clinique Mayo et de la compagnie Merck.

Puisque Dr. Kendall avait réussi à isoler et à purifier les hormones du cortex de la glande surrénales, un comité spécial de l’armée lui demanda de les synthétiser en laboratoire.  Pour synthétiser une substance en laboratoire, on doit d’abord savoir exactement comment cette substance est faite, sa structure chimique et sa composition.  Ce fut la première partie des travaux réalisés par Dr. Kendall en collaboration avec les chercheurs de la clinique Mayo et de la compagnie Merck. En décembre 1944, des chercheurs de la compagnie Merck réussirent à préparer quelques milligrames de la substance E.

Les gens de la compagnie Merck contactèrent alors Dr. Kendall pour lui laisser savoir qu’ils avaient en leur possession une très petite quantité synthétisée de substance E et qu’ils ne planifiaient pas en produire plus, compte tenu du manque d’intérêt du milieu de la recherche pour cette substance. Ainsi, si Dr. Kendall et ses collaborateurs voulaient tester les effets de la substance dans certaines conditions, c’était le temps ou jamais de le faire.

 

La découverte de la drogue fantastique

Or, un médecin de la clinique Mayo, le Dr. Hench avait observé que les patients souffrant d’arthrite rheumatoide tombait parfois en rémission lorsqu’ils attrapaient la jaunisse et que certaines femmes voyaient leur condition s’améliorer lorsqu’elles étaient enceintes.  Dr. Hench postula qu’une substance devait être produite lors d’une jaunisse ou durant la grossesse qui était responsable de cette rémission.   Dr. Hench et Dr. Kendall discutèrent alors de ce problème et ils décidèrent de tester les effets potentiels de la substance E sur les symptômes de l’arthrite rhumatoide.  Il n’y avait aucune raison de penser que la substance E pourrait avoir des effets bénéfiques sur l’arthrite rhumatoide, mais puisqu’on avait en main la substance, pourquoi ne pas en tester les effets sur ces patients ?[3]

En septembre 1948, la substance E fut injectée à une femme souffrant d’arthrite rhumatoide.  A l’intérieur d’une très courte période de temps, les symptômes de la femme disparurent.  Lorsque testé chez un nombre plus élevé de patients souffrant de différents troubles inflammatoires, Hench et Kendall observèrent que la presque totalité des patients entraient en rémission lorsqu’injectés avec la substance E.  Toutefois, ils observèrent aussi qu’il ne fallait pas cesser d’administrer la substance car sinon, les symptômes réapparaissaient.  Dr. Hench et Dr. Kendall venaient de découvrir les propriétés anti-inflammatoires de la substance E.  L’excitation fut grandiose de la part des chercheurs qui, sceptiques face à leur découverte, attendirent près de 7 mois avant d’annoncer publiquement les résultats de leur étude.  En 1949, l’annonce fut faite des vertus positives de la substance E sur les troubles anti-inflammatoires.  On venait de découvrir ce que les médecins appelleront par la suite la ‘drogue fantastique’ (‘wonder drug’). Pour simplifier la vie des chercheurs et des cliniciens, Dr. Hench nomma la structure naturelle (celle produite naturellement par le corps humain) de la substance E sous le vocable de ‘cortisol’ et nomma sa forme synthétique (celle produite en laboratoire) sous le vocable de ‘cortisone’.  En octobre 1950, Dr. Hench, Dr. Kendall et un collaborateur (Dr. Reichstein) recurent le prix Nobel pour cette découverte fortuite !

Fort de cette découverte, et sachant maintenant que la glande surrénale produisait une hormone appelée ‘cortisol’, Selye testa ses effets sur des rats pour vérifier si c’était bel et bien cette hormone qui, lorsque produite par le cortex de la glande surrénale, induisait la réponse non-spécifique du corps.  Qu’elle ne fut pas sa surprise de découvrir qu’en effet, c’était cette hormone qui était à l’origine de la réponse biologique de stress qu’il observait depuis déjà de nombreuses années.  Sachant maintenant que l’hormone cortisol est une substance dérivée de plusieurs autres substances (substance A, B et F) il catégorisa le cortisol et ses dérivés sous le vocable de ‘glucocorticoides’.  La boucle était bouclée.  Dr. Cannon avait démontré le rôle de l’adrénaline (provenant de la médulla de la glande surrénale) sur les manifestations de combat et de fuite et Dr. Selye avait démontré le rôle du cortisol (provenant du cortex de la glande surrénale) sur la réponse non-spécifique du corps à des stress intenses.

 

Les effets secondaires de la drogue fantastique

On venait donc de découvrir la substance de la glande surrénale qui permettait de guérir les inflammations.  La cortisone devint donc rapidement très populaire pour le traitement de différents troubles inflammatoires tels l’arthrite rhumatoide, l’asthme, les coliques ulcératives etc.  A ce moment de l’histoire, et sur la base des observations du Dr. Hench au fait que les patients devaient être traités de façon continue avec la cortisone pour voir ses effets thérapeutiques sur l’inflammation, la majorité des médecins traitèrent les patients avec de fortes doses de cortisone et ce, pour de très longues périodes de temps.

Toutefois, 2 ans après son introduction en tant que traitement anti-inflammatoire, l’enthousiasme généré par la cortisone fut grandement diminué par de nouvelles données scientifiques et cliniques démontrant que le traitement à long-terme à la cortisone induisait des effets secondaires très sérieux, particulièrement sur l’affect et la cognition (capacité d’apprendre, de mémoriser, de porter attention etc.).  Le premier cas sur les effets secondaires du traitement à la cortisone fut publié en 1951 par Dr. Borman qui rapporta le cas d’un suicide après administration de cortisone.  Un an plus tard, trois autres articles scientifiques furent publiés dans lesquels les auteurs rapportaient des troubles mentaux importants lors de la prise à long-terme de cortisone.

Les effets secondaires du traitement à la cortisone sur l’affect et la cognition étaient multiples et ressemblaient à une psychose.  En effet, les patients traités à la cortisone montraient la présence de troubles de la pensée, de variations importantes de l’humeur allant de l’euphorie à la dépression, et la présence d’hallucinations.  Puisque la cortisone provient de la famille des stéroides, les chercheurs nommèrent ce syndrôme dû à la thérapie par la cortisone une ‘psychose stéroidienne’.  Les chercheurs observèrent alors que la présentation clinique de la psychose stéroidienne étaient très similaires aux symptôme observés chez les patients souffrant d’un syndrome de Cushing dans lequel une tumeur à la glande pituitaire mène à des concentrations élevées de cortisol par l’entremise de l’ACTH.  Ils firent donc le lien entre ces deux désordres et commencèrent à penser que la psychose stéroidienne induite par la cortisone pourrait être due à la similarité chimique de la cortisone synthétique avec le cortisol naturel produit par le corps en situation de stress, tel que démontré par Selye.

Mais la question était entière :  Comment le cortisol, qui est une hormone produite par la glande surrénale située aux dessus des reins peut-elle produire des effets psychotiques et mentaux si importants ?  On savait depuis longtemps déjà que les troubles mentaux émergent principalement du cerveau et de dérèglements chimiques dans celui-ci.  Or, on pensait aussi à cette époque que les hormones tel le cortisol qui sont produites hors du cerveau (dans ce cas ci dans la glande surrénale située au-dessus des reins) n’accèdent pas au cerveau.  On croyait que toute substance produite par le corps n’accédait pas au cerveau.

Mais cette logique ne fonctionnait pas car la cortisone, une forme synthétique de l’hormone cortisol produite par les glandes surrénales, pouvait produire une psychose chez l’humain.  Cela voulait donc dire que cette hormone pouvait accéder au cerveau.  Il n’y avait pas d’autres explications possibles.

On découvre que le cerveau réagit aux hormones de stress

Pendant les 15 années qui suivirent la découverte de la psychose stéroidienne, les chercheurs entreprirent de voir si le cortisol ne pourrait pas accéder au cerveau d’une manière ou d’une autre.  Ce domaine de recherche fut très prolifique et dès 1968, Dr. Bruce McEwen de l’Université Rockefeller à New York découvrit que le cerveau contient des récepteurs capables de reconnaître le cortisol.  Pour que toute substance du corps puisse avoir un effet, elle doit avoir un récepteur.  Le récepteur est une protéine qui permet de reconnaître une substance et elle seule.  Ainsi, pour chaque substance produite par notre corps et notre cerveau, il existe un récepteur spécifique à cette substance.  Ainsi, la découverte de la présence de récepteurs de cortisol dans le cerveau à l’année 1968 permit de comprendre comment le traitement à la cortisone pouvait induire des effets mentaux.  En effet, lorsque produite par la glande surrénale, l’hormone cortisol (ou sa forme synthétique cortisone) remonte jusqu’au cerveau par la circulation sanguine où elle passe la barrière hémato-encéphalique (la barrière naturelle du cerveau) pour aller activer les récepteurs de cortisol.

Une autre découverte du Dr. McEwen vint permettre de comprendre encore mieux le mécanisme par lequel la cortisone peut induire des effets sur l’affect et la cognition.  En effet, lors de sa découverte de l’année 1968, Dr. McEwen observa aussi que les récepteurs de cortisol étaient majoritairement localisés dans une région très spécifique du cerveau appelée l’hippocampe à cause de sa forme ressemblant à un cheval de mer.  Or, on savait déjà depuis 1956 des travaux du Dr. Penfield et du Dr. Milner à l’Institut Neurologique de Montréal, que l’hippocampe est l’une des régions les plus importantes du cerveau pour la mémoire.  Lorsqu’on fait l’ablation de l’hippocampe à un patient qui souffre d’épilepsie réfractaire (et donc à qui on doit enlever cette partie du cerveau pour traiter l’épilepsie), on observe une amnésie généralisée chez le patient.  C’est par ces expériences que Dr. Penfield et Dr. Milner démontrèrent le rôle important de l’hippocampe dans la mémoire. Aujourd’hui, on sait aussi qu’il y a des récepteurs de cortisol dans le lobe frontal et l’amygdale, qui sont deux régions du cerveau extrêmement importante pour la régulation des émotions et de l’affect.

Ainsi, les troubles de l’affect et de la cognition présentés par les patients recevant de fortes doses de cortisone pour de longues périodes seraient dûs au fait que la cortisone, lorsqu’administrée de manière chronique, accède au cerveau et plus particulièrement dans les régions du cerveau impliqués dans l’affect (lobe frontal et amygdale) et la mémoire (hippocampe).  L’activation chronique de ces récepteurs meneraient à des troubles du fonctionnement de ces régions, menant ainsi aux troubles de l’affect et de la cognition observés chez les patients sous thérapie à la cortisone.

Bien sûr, sur la base de ces résultats, les chercheurs travaillèrent à synthétiser une autre substance qui agirait comme la cortisone sans en avoir les effets secondaires et ils réussirent.  Aujourd’hui, on administre surtout des ‘anti-inflammatoires non-stéroidaux’ aux patients, qui sont des substances ayant des propriétés similaire à la cortisone, sans en présenter les effets secondaires.

Le cerveau répond aux hormones de stress

Fort de cette découverte, les chercheurs commencèrent alors à se poser une autre question importante.  Si la cortisone synthétique pouvait avoir de tels effets délétères sur le cerveau, est-ce que le cortisol naturel (celui produit par le corps en situation de stress) pourrait avoir les mêmes effets ?  Ils se rappelèrent alors que pour que le traitement à la cortisone ait des effets délétères sur l’affect et la cognition, la drogue doit être donnée de manière chronique.  En liant cette donnée à l’hormone de stress cortisol, les chercheurs vinrent donc à se demander si l’exposition à un stress chronique chez un individu pourrait avoir des effets néfastes sur son cerveau ?  C’était une formidable hypothèse, car celle-ci, si confirmée, permettrait de mieux comprendre pourquoi le stress de la vie peut mener à différents problèmes tels la perte de mémoire, la dépression etc.

Un important effort de recherche se mit alors en place et au cours des années 1970 à 1990, un nombre impressionant d’études effectuées chez l’animal démontrèrent qu’effectivement, lorsqu’un animal est soumis à un stress chronique, il développe des troubles de mémoire et du comportement, ainsi qu’une atrophie de l’hippocampe.  Au début des années 1990, les chercheurs tentèrent de voir si ces résultats pouvaient s’appliquer à l’humain. Ici, un problème important survenait.  En effet, en suivant de strictes règles d’éthique, il est possible de soumettre un rat à un stress chronique (immobilisation, chaud, froid etc.) et d’en vérifier les effets sur le cerveau.  Il est toutefois impossible de faire de même chez l’humain – du moins sans se retrouver en prison !  Ainsi, pour étudier les effets du stress chronique chez l’humain, les chercheurs utilisent ce qu’ils appellent des ‘expériences de la nature’, c’est-à-dire qu’ils étudient des populations qui sont soumises naturellement à du stress chronique telles des gens vivant en zone de guerre, des patients souffrant de dépression ou d’un désordre d’origine post-traumatique (qui est un désordre mental survenant à la suite d’un trauma intense), des enfants maltraités, des personnes âgées chroniquement stressées etc.  Les chercheurs mesurent alors le cortisol (et parfois l’adrénaline) chez ces différentes populations pour tenter de confirmer les résultats des études effectuées chez l’animal.

En étudiant toutes ces populations, les chercheurs ont démontré que dans toutes ces conditions, les individus rapportant un stress chronique produisent des concentrations anormales de cortisol ainsi qu’une atrophie de l’hippocampe qui est pairée à des troubles de l’affect et la cognition.  Avec l’ensemble des découvertes du 19ème et du 20ème siècle, on venait donc de découvrir que lorsqu’un organisme à soumis à des conditions adverses, il produit de l’adrénaline pour induire la réponse de combat-fuite lui permettant de mobiliser l’énergie nécessaire à l’une ou l’autre de ces deux actions.  Au même moment, le corps produit aussi le cortisol qui a la propriété phénoménale d’accéder au cerveau et d’agir sur les régions impliquées dans l’affect et la mémoire.  C’était un moment extasiant pour les chercheurs scientifiques et nous reviendrons à ces données scientifiques plus loin dans le livre.

Mais encore une fois, une question émergeait de cette découverte.  Qu’est-ce qui fait qu’on produit de l’adrénaline et du cortisol ?  Quelles sont les conditions de l’environnement qui font en sorte qu’un individu va produire de larges quantités de ces hormones de stress, tandis qu’un autre produira seulement des concentrations normales ?  Quel est le point de départ de cette chaîne d’événement ?  Pour répondre à cette question, on doit retourner dans le passé, lors de la seconde guerre mondiale et discuter de l’approche psychologique du stress.

 

La psychologie prend le contrôle sur la notion de stress

Nous sommes en 1944, à la fin de la seconde guerre mondiale, et les recherches des physiologistes sur les vertus potentielles des glandes surrénales de boeuf sur le choc septique et l’hypoxie ne génèrent aucun résultat positif.  Toutefois, la guerre a fait ses victimes et des soldats reviennent de la guerre en souffrant d’un choc traumatique (choc psychologique aujourd’hui appelé désordre d’origine post-traumatique). Les médecins de l’armée voulaient pouvoir continuer d’aider ces soldats, mais les physiologistes n’étaient pas d’une grande utilité à ce moment.  Ils se tournèrent donc vers les psychologues, espérant obtenir de leur expertise de recherche dans le domaine de la psychologie la réponse aux ravages de la guerre.  C’est donc au retour de la deuxième guerre mondiale, en réaction aux effets de la guerre sur la santé mentale des soldats, que va voir le jour le domaine de la psychologie du stress.  Dès 1953, le premier symposium sur le stress psychologique sera organisé à Washington DC par l’armée américaine.  Le personnel de l’armée voyait alors dans l’étude du stress psychologique une façon de pouvoir maximiser l’efficacité des forces armées en temps de guerre. La demande accrue de l’armée américaine d’effectuer des recherches psychologiques sur le stress fit en sorte que la recherche sur le stress psychologique se déplaça de Montréal vers les Etats-Unis.  Aujourd’hui, la majorité des théoriciens du stress psychologique provient de ce pays.  La fascination militaire pour l’étude du stress psychologique fut telle que dès 1976, près du tiers de tous les grands chercheurs travaillant sur le stress psychologique étaient basés dans des institutions militaires américaines[4].

Bien sûr, les chercheurs spécialisés dans la psychologie du stress ne connaissaient rien des travaux effectués par les chercheurs étudiant la réponse physiologique du stress (et l’inverse est vrai aussi).  Ils durent donc reprendre certains des concepts développés par Dr. Selye et leur donner une approche psychologique.  Les psychologues reprirent aussi les termes donnés au stress au 18ème et 19ème siècle, où les gens parlaient de stress comme étant une tension mentale, une pression ressentie et un malaise général.  Ainsi, le syndrome physiologique de stress décrit par Dr. Selye se traduisit-il par une expérience psychologique négative ressentie par l’individu.  Il fallait pouvoir mesurer cette expérience psychologique, mais comment faire ? Les chercheurs en psychologie décidèrent alors que la meilleure façon de mesurer le stress psychologique chez les individus est de quantifier le nombre de stresseurs psychologiques auxquelles cet individu est soumis sur une période de temps donnée.  Le premier questionnaire de stress vit le jour en 1967 et fut développé par deux psychologues, Dr. Holmes et Dr. Rahe.  Le questionnaire des ‘événements de vie’ était un questionnaire qui mesurait le nombre d’événements stressants vécus par un individu au cours d’une période de quelques mois.

Les chercheurs postulèrent que plus l’individu a été exposé à des événements stressants, plus son niveau de stress subjectif (stress ressenti) tel que mesuré par le questionnaire serait élevé.  Le questionnaire posait donc des questions telles : ‘avez-vous récemment vécu un divorce’, ou ‘avez-vous récemment vécu un deuil’.  Par la suite, les chercheurs liaient le nombre d’événements stressants vécus par une personne avec différents troubles physiques et mentaux tels l’hypertension, le diabète, le rhume et même les accidents chez les enfants.  Ce questionnaire fut reçu avec un fort enthousiasme de la part des psychologues car il était aisé de l’utiliser en clinique auprès de patients disant souffrir de détresse psychologique, et il généra un large effort de recherche dans les années 1970.  Ces questionnaires, largement utilisés en clinique, eurent aussi pour effet de mettre la notion de stress dans le domaine public.  Les gens qui ne faisaient pas partie de la communauté scientifique comprenaient mieux la notion de stress en remplissant des questionnaires plutôt qu’en se faisant parler de biologie.  Avec ces questionnaires, les gens commencèrent alors à voir le stress comme étant une tension, une pression négative ressentie devant des événements difficiles de la vie.  La popularité du terme ‘stress’ fut donc assurée par le développement de l’approche psychologique du stress et ceci est un aspect très positif de cette école de pensée.

Toutefois, à la fin des années 1970, les travaux portant sur le questionnaire des événements de vie furent largement discrédités sur la base de deux faits importants.  D’abord, les chercheurs se mirent à critiquer la nature des événements décrits comme étant potentiellement stressants dans le questionnaire.  En effet, qui sont les chercheurs pour décider qu’un divorce est stressant et devrait être catalogué comme tel ?  Si vous n’avez jamais aimé votre conjoint et qu’il vous annonce qu’il demande le divorce, il est possible de vous sautiez de joie plutôt que d’être stressé !  Le questionnaire ne prenait donc pas en compte les différences individuelles et les différentes expériences de vie des personnes répondant au questionnaire.  En second lieu, ce questionnaire ne prenait pas en compte la transaction ayant lieu entre la personne et l’événement vécu, et postulait que tous les gens répondraient avec la même intensité de stress à tous les événements stressants.  Or, il est tout à fait possible de penser que différentes personnes vont négocier différentes situations de différentes manières (rappelez-vous l’histoire du divorce).  Le questionnaire ne permettait donc pas de prendre en compte nos différences individuelles dans notre réponse aux événements adverses de la vie.

En réponse à ces critiques, les chercheurs travaillant en psychologie du stress développèrent de nouveaux outils qui pourraient permettre de prendre en compte ces facteurs.  On vit alors apparaître des questionnaires psychologiques tels ‘le questionnaire sur le réajustement social’ qui mesure la signification que donne les individus aux événements stressants de la vie, et ‘l’échelle des tracas journaliers’ qui mesure l’accumulation des petits tracas de tous les jours en tant qu’événements stressants.  Sur une période de 10 ans, allant de 1970 à 1980, plus d’une centaine de questionnaires psychologiques furent développés et leurs résultats furent corrélés avec la présence de troubles physiques et mentaux.  On apprit alors que les tracas quotidiens sont associés au diabète, que le manque de réajustement social est un prédicteur de maladie cardiosvasculaire, ou que les événements de la vie étaient associés à une dépression.

Toutefois, à ce moment de l’histoire, on se rendit compte que ce n’était pas tous les gens ayant des scores élevés à ces questionnaires qui développaient des maladies physiques ou mentales.  Les chercheurs se demandèrent donc s’il pourrait y avoir des traits de personnalité qui peuvent augmenter la susceptibilité (ou la résistance) de certains individus à la maladie.  Les chercheurs se rappelèrent à ce moment un vieil article scientifique écrit en 1892 par Dr. Osler, un chercheur canadien, qui décrivait que la plupart des patients qu’il traitait pour des troubles coronariens (cardiaques) avaient tous une personnalité semblable, caractérisée par une personnalité tranchante et ambitieuse.  Ce fait avait été repris dans les années 1950 par deux médecins, Dr. Friedman et Dr. Rosenman qui confirmèrent que les patients qu’ils traitaient pour des troubles coronariens partageaient tous un ensemble de réactions émotionnelles qu’ils nommèrent alors la personnalité de Type A.

Les gens ayant la personnalité de type A étaient caractérisés par une ambition intense, un fort esprit de compétition, une hostilité envers les autres, une préoccupation constante avec les dates limites, et un sentiment d’urgence du temps[5].  Dr. Friedman et Dr. Rosenman appelèrent les personnalité de Type B tous les gens qui ne démontraient pas le pattern de traits de personnalité de Type A.  Sur la base de ces études, les chercheurs en conclurent donc que les gens qui démontrent une personnalité de type A sont ceux qui sont les plus susceptibles de souffrir de troubles coronariens.  Ce résultat fut très populaire auprès des psychologues qui reprirent alors le concept de personnalité de Type A et Type B (et qui ont rajouté des types de personnalité par la suite) pour l’associer aux scores des questionnaires psychologiques tels le questionnaire des événements de vie, le questionnaire des tracas quotidien etc.  L’ensemble des résultats de ces études démontrèrent des liens importants entre la personnalité de Type A et les scores aux questionnaires de stress.  Toutefois, en 1991, après près de 40 années de recherche sur la personnalité de Type A et son association avec les troubles coronariens, le concept est tombé en désuétude sur la base de nouvelles données scientifiques.  Nous y reviendrons dans un chapitre ultérieur.

Bien que la recherche sur la psychologie du stress ait fourni des résultats intéressants sur l’association entre des événements de vie, la personnalité et le risque de développer des maladies physiques et mentales, il existait deux problèmes fondamentaux à ce type de recherche.  Le premier est qu’aucun des questionnaires de stress développés par les psychologues ne permettait de prendre en compte la manière dont l’individu négociait le stress vécu par un événement.  Ainsi, chaque événement était vu comme étant stressant et ce pour tous, sans considération aux différences inhérentes à chacun de nous.  Le second problème est que bien que l’ensemble des travaux effectués sur la psychologie du stress ait démontré un lien certain entre l’exposition à des événements stressants et certaines maladies, aucun chercheur en psychologie n’était parvenu à décrire le mécanisme exact par lequel l’interprétation de l’évenement comme étant potentiellement stressant puisse rendre malade.  Il fallut l’arrivée de deux chercheurs importants, Dr. Richard Lazarus et Dr. John Mason, pour finalement boucler la boucle du lien très important entre la psychologie et la biologie du stress.

 

Chaque personne négocie différemment les stresseurs

Comme tous les chercheurs ayant débuté et poursuivi une carrière sur la science du stress, Dr. Richard Lazarus débuta ses recherches à la fin de la seconde guerre mondiale après avoir servi à l’armée.  Très rapidement, il observa que la manière dont une personne réagit à une situation stressante peut être très différente de la manière dont une autre personne réagira à la même situation.  Toutefois, la majorité des études psychologiques sur le stress ne prenait pas ce fait en compte.

Lazarus attribua ce fait à la mode, à l’époque, du mouvement béhavioriste qui stipulait que tout comportement peut être compris par la présence d’un stimulus (S) et d’une réponse (R) appropriée.  Chaque stimulus (S) apporte toujours la même réponse (R).  Lazarus n’adhéra pas à cette idée et proposa plutôt qu’entre le stimulus (S) et la réponse (R), il y a un organisme (O) qui a une histoire de vie, une personnalité, et des émotions et que tous ces facteurs vont faire en sorte que lorsqu’il est confronté au stimulus, tout individu évaluera d’abord le stimulus en fonction de son histoire de vie, sa personnalité et ses émotions.  Par conséquent, la réponse qui résultera ne sera pas nécessairement la même pour tous les individus.  Ainsi, pour mieux comprendre le stress, il fallait comprendre les variables à la base de cette transaction entre l’individu et l’environnement.  Il appela ce modèle le ‘modèle du coping’.

Dr. Lazarus partit du principe que le stress est une réponse spécifique à chacun d’entre nous, selons notre capacité à faire face à un stresseur particulier. Prenons l’exemple d’une file d’individus qui utiliseraient le même guichet automatique. Face à l’instrument, chacun exécuterait la tache qu’il avait à l’esprit (retrait, dépôt, impression d’un relevé…), et ce même si appareil accomplirait des dizaines d’actions différentes. De la même façon, pour Lazarus, le stress est une « transaction » entre l’individu et la situation. Chaque individu est à l’origine de son interprétation d’une situation comme étant stressante ou non, et ceci dépend de son histoire personnelle, sa personnalité et ses émotion. Il définit donc le stress comme l’évaluation d’une situation donnée (appraisal), qui se fait en fonction des caractéristiques personnelles (les ressources) de chacun. Ainsi, face à une situation, l’individu effectuera une première évaluation, inconsciente (primary appraisal) : est ce que la situation est menaçante ? Si oui, l’individu procède alors à une seconde évaluation (secondary appraisal) : ai-je les ressources pour faire face à cette demande (coping)? Dans le cas ou l’individu conclut qu’il n’en a pas les capacités, il ressent alors un stress psychologique.

Au cours de ses années de recherche, Dr. Lazarus étendit son champ d’étude pour voir à quel point les mécanismes de coping peuvent avoir un impact sur les émotions ressenties lors de situations adverses.  Au cours des années 1960, il entreprit une série d’études dans lesquelles il montrait un film négatif à des participants et mesurait la perception de stress des individus.  L’un de ces films montrait la circoncision d’un jeune homme lors d’un rite de passage d’une société primitive.  En étudiant le stress subjectif vécu par le participant, Dr. Lazarus démontra que le stress vécu dépendait de la stratégie utilisée par le participant pour négocier ce film difficile à regarder.  Par exemple, il observa que la réponse subjective de stress était diminuée lorsque le participant utilisait une stratégie de déni, se disant que le jeune homme du film était heureux de vivre ce rite de passage.  Le même effet était observé lorsque le participant faisait un effort pour se détacher du contenu du film (ce que la majorité d’entre nous faisons naturellement lorsqu’on se cache les yeux avec la main lors de la vision d’un film d’horreur !).  Par ce type d’études, Dr. Lazarus a donc démontré que la manière dont un individu interprète une situation aura un impact certain sur sa perception d’une situation comme étant stressante et sur sa capacité de négocier (‘coping’) cette situation.

Les études du Dr. Lazarus furent les plus importantes dans l’histoire de la psychologie du stress.  En effet, le modèle du Dr. Lazarus permit d’aller au-delà des simples questionnaires qui voyaient le stress comme étant universel et qui pensaient pouvoir le quantifier par de simples événements de vie.  Le modèle du Dr. Lazarus permit de comprendre qu’entre la condition adverse et la réponse de stress, il y a un individu qui négocie cette situation en fonction de son histoire de vie, sa personnalité et ses émotions.

Toutefois, bien qu’ayant eu une forte reconnaissance dans le domaine de la psychologie, le modèle du Dr. Lazarus fut aussi critiqué par de nombreux chercheurs.  La première critique donnée au modèle était que Dr. Lazarus semblait penser que toute personne est consciente de son comportement lorsqu’elle négocie une situation de stress en se demandant si elle a les ressources pour y faire face.  Or, on sait par expérience que ce n’est pas toujours le cas, et que l’on peut subir une forte réponse de stress sans vraiment savoir ce qui nous stresse.  La seconde critique émise est que bien que Dr. Lazarus fit une critique importante des questionnaires sur le stress, il inventa et utilisa lui-même une pléthorée de questionnaires psychologiques supposés mesurer les capacités de coping des individus.  Or, ces questionnaires sont très complexes et mesurent un nombre important de différents concepts reliés à la notion de coping.  Il n’est donc pas clair à quel point ces questionnaires peuvent réellement permettre de mieux comprendre ce qui induit une réponse de stress au départ.  La dernière critique émise sur le modèle du Dr. Lazarus est que bien qu’il ait grandement contribué à démontrer que pour comprendre le stress, il faut prendre en compte les différences individuelles dans la capacité de négocier chaque situation adverse, il n’a jamais permis de démontrer le mécanisme par lequel une interprétation négative d’une situation puisse produire une réponse de stress et comment cette réponse de stress pouvait mener à des désordres physiques et/ou mentaux.  Pour démontrer cela, il aura fallu un dernier joueur dans le grand échiquier de la science du stress, un chercheur qui pour la première fois de l’histoire du stress, aura su mettre ensemble les données biologiques du stress avec les données psychologiques.

 

La croisée des chemins : Quand la psychologie rencontre la biologie

Nous somme au début des années 1970 et la recherche sur le stress évolue à deux niveaux différents.  D’une part, il y a les chercheurs spécialisés dans la biologie du stress, qui démontrent que lorsqu’un animal est soumis à des conditions adverses telles la chaleur ou le froid intense, il y a production des deux hormones de stress, l’adrénaline et le cortisol.  Au même moment, il y a les chercheurs spécialisés dans la psychologie du stress, qui démontrent que pour ressentir un stress subjectif évalué sur un questionnaire, il faut que l’individu négocie la situation comme étant potentiellement menaçante.  L’un et l’autre domaine de recherche sont complètement indépendents, et les résultats issus d’un domaine ne sont jamais transférés à l’autre domaine de recherche.

Toutefois, un chercheur nommé Dr. John Mason commence à lire sur les deux types de sciences et commence à faire des liens entre ces deux domaines de recherche. Dr. Mason comprend que le problème de l’approche psychologique du stress est qu’elle n’a aucune mesure objective de la réponse de stress.  Étant un chercheur évoluant dans le domaine de la biologie du stress, Dr. Mason connaît les mesures hormonales et à ce moment de l’histoire, on peut aisément mesurer les hormones de stress (particulièrement le cortisol) dans l’urine[6].  Il sait aussi que le modèle du Dr. Selye stipule que toute condition adverse, quelle qu’elle soit, va mener à une production de cortisol (ce qu’il appelait la réponse non-spécifique du corps).  Il se demande alors si tel est bien le cas.

En effet, Dr. Selye a toujours utilisé des stresseurs physiques (chaud, froid intense, choc, etc.) dans ses expériences et il n’a jamais pensé tester le pouvoir de stresseurs psychologiques sur la réponse physiologique de stress. Or, Dr. Mason se rappela qu’il est extrêmement difficile de soumettre des animaux à des conditions physiques adverses telles le chaud ou le froid intense sans que ces conditions induisent aussi une concomittante psychologique telle la douleur, la peur et l’inconfort chez l’animal.  Si tel est le cas, serait-il possible que les résultats obtenus par Dr. Selye et ses collègues soient reliés à l’aspect psychologique des conditions adverses auxquelles ils soumettaient leurs animaux plutôt qu’à l’aspect purement physique ?  Se basant sur certains principes du modèle transactionnel du Dr. Lazarus, Dr. Mason commença donc à se demander si la réponse de stress est à ce point non-spécifique à toute forme de stimulations.  En d’autres termes, se pourrait-il que comme l’a suggéré Dr. Lazarus, la réponse de stress puisse être spécifique à certaines conditions ou caractéristiques psychologiques d’une situation?

A ce moment de l’histoire, Dr. Mason se souvint d’une série d’expériences qu’il avait effectuées chez le singe il y avait de cela plusieurs années.  Dans cette expérience, Dr. Mason étudiait les effets de la faim sur la réponse de stress des singes.  Pour faire l’expérience, il prit 8 singes et cessa d’en nourrir 2, sans les changer d’environnement.  Le technicien en animalerie entrait donc dans la section réservée aux cages de singes plusieurs fois par jour pour nourrir les 6 singes de la condition contrôle et ne nourrissait pas les 2 autres singes de la situation expérimentale (effet de la faim).  Tel que prévu, Dr. Mason observa que les deux singes qu’il avait privé de nourriture montrait une augmentation de cortisol, ce qu’il attribua à la condition adverse de faim.

Toutefois, il avait aussi observé que le comportement des singes privés de nourriture changeait dramatiquement lorsque le technicien en animalerie entrait dans la section réservée aux cages pour nourrir les 6 autres singes.  Les singes privés de nourriture semblaient devenir incomfortables, et produisaient de fortes vocalisations.  Il décida donc de reproduire son expérience intitiale, mais cette fois-ci, il plaça les singes privés de nourriture dans une autre salle, où ils ne pouvaient pas voir le technicien en animalerie nourrir les singes du groupe contrôle.  Quelle ne fut pas sa surprise de constater que dans ce cas, les singes privés de nourriture ne montraient pas une augmentation de cortisol !  Donc, l’augmentation de cortisol qu’il avait au préalable attribuée à la condition adverse de faim (stress physique) était une conclusion erronée. En fait, l’augmentation de cortisol observée était due à l’aspect ‘psychologique’ de la situation, dans laquelle des singes privés de nourriture voyaient leurs congénères être nourris sans qu’ils le soient eux-mêmes.

C’est à la suite de cette découverte que Dr. Mason entreprit avec ses collègues une série d’expériences pour tenter de découvrir quelles sont les caractéristiques psychologiques d’une situation qui va induire une réponse biologique de stress.  La fusion des deux approches du stress était née.  De 1960 à 1980, un nombre impressionnant d’expériences fut entreprises chez l’animal et l’humain pour tenter de mieux comprendre les aspects psychologiques d’une situation qui peut induire une réponse biologique de stress.  On mesura alors les hormones de stress dans toutes sortes de conditions ou conditions de travail qui pourraient potentiellement être stressantes.  Par exemple, les chercheurs étudièrent les hormones de stress chez les contrôleurs aériens, les policiers, les pilotes de l’armée, les gens en apesanteur, les étudiants à la veille d’un examen, les gens qui devront subir une opération et j’en passe !  J’aime bien décrire l’une de ces expériences entreprises chez l’humain car elle est à mon avis très révélatrice de la fusion des deux approches et des découvertes phénoménales que cela a généré.   En étant exposé à cette étude, vous commencerez doucement à mettre les pièces du puzzle en place et à mieux comprendre ce qui génère une réponse biologique de stress chez l’humain.

Les chercheurs de cette étude entreprirent de mesurer les hormones de stress chez des gens qui allaient sauter en parachute pour la première fois de leur vie, question de mieux comprendre ce qui, dans l’action de sauter en parachute, peut induire une production de cortisol.  Il débutèrent leur étude en mesurant le cortisol dans l’urine des participants quelques minutes avant leur premier saut.  Ils observèrent alors que les niveaux de cortisol étaient très élevés.  Ils en conclurent que ‘sauter en parachute’ était un stresseur car cela menait à une augmentation de cortisol.  Toutefois, ces chercheurs eurent la bonne idée de mesurer le cortisol chez les entraîneurs des novices qui allaient, eux aussi sauter en parachute dans quelques minutes.  Ils observèrent alors que les entraîneurs ne présentaient aucune augmentation de cortisol avant le saut en parachute.  Dilemme.  On ne pouvait donc pas conclure que ‘sauter en parachute’ était stressant car bien que les novices présentaient une augmentation de cortisol juste avant le saut, ceci n’était pas observé chez les entraîneurs.

Ils décidèrent alors de poursuivre l’étude et ils mesurent les hormones de stress 24 heures avant le premier saut en parachute des novices.  Ils n’observèrent aucune augmentation de cortisol.  A l’inverse, lorsqu’ils mesurèrent les hormones de stress chez les entraîneurs des novices 24 heures avant le saut, ils observèrent que les entraîneurs montraient une augmentation des hormones de stress. Par cette expérience, les chercheurs avaient démontré que différentes caractéristiques de la situation et de l’individu vont faire en sorte que cette personne produira ou non une réponse de stress devant une condition potentiellement adverse.  Le mot ‘potentiellement’ est très important ici.  Dr. Selye et ses collègues du domaine de la biologie croyaient que toute condition adverse allait produire une réponse de stress.  Dr. Mason prouva le contraire et ce, avec l’aide du modèle du Dr. Lazarus.  Il démontra qu’une situation va induire une réponse de stress si, et seulement si, l’individu voit dans cette situation une caractéristique qui puisse être interprétée comme étant adverse ou menaçante pour lui.  Donc, toute situation n’est pas adverse en soi.  C’est notre interprétation de celle-ci qui peut la rendre adverse, ou non.  Mais qu’est-ce qui, dans une situation particulière, fait en sorte que nous interprétions la situation comme étant adverse ou non ?

Dr. Mason trouva la réponse.  C’est en lisant l’ensemble des études ayant mesuré les hormones de stress dans différentes conditions que Dr. Mason fit l’une des découvertes les plus importantes du 20ème siècle dans la science du stress.  En étudiant les réponses de stress à travers toutes ces études, il observa que pour toutes les occasions où les chercheurs rapportaient une augmentation des hormones de stress, il y avait un dénominateur commun.  Il fallait que ces situations comporte au moins l’une de quatre caractéristiques.  Il en vint alors à découvrir les quatres caractéristiques psychologiques d’une situation qui vont faire en sorte que peu importe qui vous êtes, peu importe votre sexe, votre âge ou votre travail, vous allez produire une réponse biologique de stress (production d’hormones de stress) et ce, à tous les coups.  A tous les coups !  Il observa aussi qu’une situation ne doit pas nécessairement comporter les quatres caractéristiques pour induire une réponse de stress, mais que plus la situation comporte de caractéristiques, plus la production d’hormones de stress est importante.

Ce livre a débuté à partir de ce moment-ci de l’histoire.  Vous connaissez donc tout le reste de l’histoire.  Toutefois, si vous avez décidé de commencer par lire l’histoire de la science du stress : Bonne lecture !

 

[1] Dr Hans Selye, STRESS SANS DÉTRESSE, Les éditions La Presse, 1988.

[2] En fait, c’est l’un des étudiants de Dr. Selye, Dr. Roger Guillemin, qui découvrira par la suite un grand nombre d’hormones et ce, en analysant des millions de tissus de moutons provenant des abattoirs de la région.  Dr. Guillemin était dans une concurrence sans merci avec son collègue Andrew Schally pour la découverte de nouvelles hormones (Dr. Schally utilisait pour sa part des tissus de porc obtenus aussi dans les abattoirs).  Cette lutte sans merci entre les deux chercheurs fut fructueuse car à eux seuls, Drs. Guillemin et Schally découvrirent énormement de nouvelles hormones. Ironiquement, ces deux grands ennemis apprirent en 1977 qu’ils partageraient le prix Nobel de Médecine pour leurs découvertes majeures.  Adversaires féroces en recherche, ils devinrent associés pour le prix ultime de leurs efforts.

[3] Vous comprendrez qu’à l’époque de la deuxième guerre mondiale, la recherche scientifique n’était pas régie par des lois d’éthique de recherche aussi sévères qu’aujourd’hui!

[4] Military Stress Laboratory of the US Army; Naval Medical Research Unit (Bethesda, MD); Stress and Hypertension Clinic of the Naval Gun Factory (Washington, DC); Neuropsychiatry section of the Walter Reed Army Medical Center (Washington, DC); Stress Medicine Division, Naval Health Research Center (San Diego, CA).

[5] Selon ces critères, j’annonce ici publiquement que je suis une personnalité de Type AA!

[6] Aujourd’hui, il est encore plus aisé de mesurer les hormones de stress car on peut les mesurer dans des échantillons de sang, de salive, ou même dans les cheveux. Toutefois, les mesures utilisées en recherche scientifique ne sont pas encore applicables en milieu clinique.

Chapitre 5 de l’édition originale

MESURER LE POIDS DU STRESS CHRONIQUE : LA BATTERIE DU POIDS ALLOSTATIQUE

Tel que promis dans la seconde édition de Par amour du stress (2020), je vous présente ci-bas le chapitre 5 traitant de la mesure du stress chronique.  Ce chapitre n’apparaît plus dans la nouvelle édition de Par amour du stress, mais la méthode et les conclusions scientifiques demeurent valides.


Dans le dernier chapitre, nous avons vu que l’exposition à un stress chronique peut mener différents systèmes du corps à se dérégler.  A l’année 1997, Dr. Teresa Seeman de l’Université de la Californie à San Francisco décida de s’associer avec Dr. Bruce McEwen de l’Université Rockefeller à New York dans le but de développer une mesure du poids allostatique qui pourrait permettre de savoir à quel niveau de dérèglement un individu peut se trouver en prenant diverses mesures biologiques.  Pour développer cette mesure, les chercheurs ont utilisé les données de l’étude MacArthur sur le vieillissement, l’une des plus importantes études entreprises auprès de 1313 personnes âgées et ayant mesuré les différentes variables biologiques discutées ci-haut.  Le but ici était de trouver une manière de mesurer comment un corps peut commencer à se dérégler, et ce, avant même que la maladie apparaisse.

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Comme nous l’avons vu précédemment, pour chaque variable biologique, il existe un rang de normalité.  Ainsi, supposons que le rang de normalité du glucose se situe entre 4 et 6 mmol/L (micromol par litre). Ce n’est que lorsque vous produisez des concentrations qui dépassent le rang de normalité que votre médecin va vous prescrire une médication pouvant ramener cette production à la normale.  Par exemple, si vous montrez une production de 9 mmol/L de glucose à votre prochain bilan annuel, votre médecin suspectera la présence d’un diabète et vous prescrira soit un médicament, ou une diète appropriée.  Si votre taux de glucose ne dépasse pas le rang de normalité, le médecin concluera que tout est bien et ne regardera bien souvent pas plus avant les résultats du bilan sanguin.

Or, la recherche sur le poids allostatique a démontré que le corps commence à dérégler ses différents systèmes biologiques très doucement. Lorsque l’effet domino des dérèglements de différents systèmes commence à prendre de la vitesse, il est très difficile d’arrêter la machine.  Les chercheurs ont constaté qu’il serait préférable de ne pas attendre qu’une variable biologique donnée ait dépassé son rang de normalité avant de crier au loup.  On devrait plutôt regarder le nombre de variables biologiques associées au stress chronique (cholesterol, glucose, insuline, ratio taille-hanche, cytokines, cortisol, etc.) qui sont élevées mais non encore anormales.  Selon les recherches sur le poids allostatique, plus il y a de données biologiques associées au stress chronique qui sont élevées sans être anormales, plus l’individu montre un état de stress chronique qui a commencé à dérégler plusieurs systèmes biologiques.

Un petit exemple pourra vous permettre de mieux comprendre la mesure du poids allostatique.  Si vous mesurez 4 variables biologiques associées au stress chronique, disons le glucose, le cholesterol, le cortisol, et le rapport taille-hanche.  Disons que le rang de normalité (arbitraire pour l’exemple cité) de chaque mesure se situe entre 1 et 10.  Vous avez deux individus qui présentent les données suivantes.

Données biologiques Individu #1 Individu #2
Glucose 4 9
Cholesterol 6 7
Cortisol 8 8
Rapport taille-hanche 3 8

Rang de normalité pour chaque mesure : Entre 1 et 10

On peut voir ici que l’individu #1 montre toujours des valeurs qui sont situées dans la moyenne, c’est-à-dire très près de 5 .  A l’inverse, l’individu #2 montre des valeurs qui sont situées très près de la limite supérieure du rang de normalité, c’est-à-dire très près de 10.  Toutefois, puisqu’aucune de ces valeurs ne dépasse le rang de normalité, il n’y a aucune raison pour que le médecin détecte une maladie et agisse en conséquence.

Toutefois, les chercheurs spécialisés dans la science du stress comprirent que ses valeurs, étant très près du seuil supérieur de normalité, permettent de croire que le corps a tranquillement commencé à dérégler ses différents systèmes en réponse à un stress chronique. Les chercheurs ont donc développé la batterie du poids allostatique pour mettre sur pied une mesure biologique du stress chronique.  Pour ce faire, ils ont mesuré les différentes variables biologiques qu’on sait être déréglées dans le stress chronique.  Les plus importantes de ces variables sont :

-Concentration de cortisol (hormone de stress; combattante de front)

-Concentration d’adrénaline (hormone de stress; combattante de front)

-Concentration de noradrénaline (hormone de stress; combattante de front)

-Concentration de cholesterol total (combattant de fond)

-Concentration de HDL (bon cholesterol; combattant de fond)

-Concentration d’ hémoglobine glyquée (mesure indirecte de glucose; combattant de fond)

-Concentration d’interleukines-6 (système immunitaire, combattant de fond)

-Pression sanguine systolique et diastolique (combattantes de fond)

-Rapport taille-hanche (combattant de fond).

Pour chaque mesure obtenue, les chercheurs ont calculé le nombre de variables biologiques qui se trouvait dans le quartile supérieur du rang de normalité.  Le quartile supérieur n’est rien d’autre que le chiffre correspondant au 25% supérieur de la norme.  Ainsi, si un rang de normalité est de 1 à 10, le quartile supérieur de ce rang correspond à toute donnée supérieure à 7.75.  Si un individu présente un taux de 8 sur cette variable, on dira qu’il est dans le quartile supérieur du rang de normalité.  Cet individu ne montre pas encore un dérèglement pathologique de cette variable (pour se faire, il faudrait que cette variable soit supérieure à 10), mais on voit que cette variable commence tranquillement à se dérégler et à s’approcher dangeureusement du seuil de dérèglement.

Avec cet outil en poche, les chercheurs ont calculé le poids allostatique des participants âgés de l’étude MacArthur en déterminant le nombre de variables biologiques associées au stress chronique qui étaient dans le quartile supérieur du rang de normalité.  Plus un individu montre un nombre élevé de variables biologiques étant dans le quartile supérieur, plus son poids allostatique est élevé, et plus grand est le risque que cet individu développe l’un des désordres physiques associés au stress chronique.

Reprenons l’exemple ci-haut.  Dans cet exemple, le rang de normalité est de 1 à 10 pour chaque variables.  Pour qu’une variable soit dans le quartile supérieur du rang, elle doit être de 7.75 ou plus.  Regardons les données des deux individus ci-bas.  On voit que l’individu #1 ne présente qu’une seule variable qui est dans le quartile supérieur, c’est-à-dire le taux de cortisol.  Cet individu montre donc un poids allostatique de 1.  A l’inverse, l’individu #2 montre des données dans le quartile supérieur sur les 4 variables mesurées.  Cet individu montre donc un poids allostatique de 4.  Chez l’individu #2, on voit donc que quatre systèmes ont commencé à se dérégler et ce, même si cet individu ne montre encore aucune variable au-dessus de 10, ce qui lui vaudrait un diagnostic médical.  Parce qu’aucun système n’est encore ‘malade’, on ne détecte pas un état de stress chronique.

Données biologiques Individu #1 Individu #2
Glucose 4 9
Cholesterol 6 7
Cortisol 8 8
Rapport taille-hanche 3 8
Poids allostatique 1 4

Rang de normalité pour chaque mesure : Entre 1 et 10; Quartile supérieur = 7.7 et plus

Les chercheurs ont prédit que si cette mesure précoce du poids allostatique est valide pour détecter des états de stress chroniques chez les individus, alors un poids allostatique élevé devrait permettre de prédire le développement de diverses maladies associées au stress chronique et ce, des années avant l’apparition de cette maladie.

En utilisant cette mesure de poids allostatique auprès des participants âgés de l’étude MacArthur, les chercheurs ont montré qu’un poids allostatique élevé prédit le taux de mortalité de 3 ans.  Ainsi, plus une personne âgée a un poids allostatique élevé, plus grande est la probabilité que cette personne soit malade et décède dans les 3 prochaines années à venir.  D’autres études de ce groupe de chercheurs ont montré qu’un poids allostatique élevé est associé à des troubles de la mémoire chez la personne âgée et à une variété de conditions physiques.

Des études ultérieures effectuées aux Etats-Unis et en Europe ont étudié le poids allostatique chez des travailleurs.  Dans une première étude, Dr. Kinnunen et ses collègues de l’Université Jyväskylä en Finlande a montré qu’entre l’âge de 27 et 36,  l’instabilité vécue quant à la carrière professionnelle augmente de trois fois le risque de présenter un poids allostatique élevé dans la quarantaine.  Plus récemment, mon étudiant Robert Paul Juster et moi avons démontré que chez les travailleurs, un poids allostatique élevé est associé à des symptômes d’épuisement professionnel.

Chez les adolescents, Dr. Gary Evans de l’Université Cornell aux Etats-Unis a montré que les adolescents vivant dans des conditions difficiles (pauvreté, violence, etc.) présentent un poids allostatique élevé.  De plus, il montre que l’accumulation de conditions adverses permet de prédire un poids allostatique élevé de 3 à 5 ans à l’avance chez des enfants de 8 à 10, et chez des adolescents.  Selon Dr. Evans, ces résultats permettent d’expliquer comment l’exposition à des conditions adverses au cours de l’enfance peut mener au développement de troubles cardiovasculaires et de dépression à l’âge adulte.

Et si tous les outils pour détecter un stress chronique étaient déjà dans la trousse du médecin?

A chaque année, vous allez faire un examen médical et à chaque occasion, votre médecin traitant demande un ‘bilan sanguin’.  Le bilan sanguin contient une liste de variables biologiques que votre médecin veut mesurer dans le but de s’assurer que vous êtes en bonne santé.

Or, la majorité des variables biologiques que les médecins demandent à mesurer lors d’examen annuels de base ne sont rien d’autres que les variables biologiques qui ont été associées au poids allostatique.  Toutefois, bien peu de médecins connaissent la batterie du poids allostatique et de ce fait, aucun médecin ne fait une analyse du poids allostatique lorsqu’il reçoit les résultats de votre bilan sanguin.  Certains médecins vous diront que la batterie du poids allostatique n’est rien d’autre qu’une autre façon de parler du syndrôme métabolique dont nous avons parlé au chapitre précédent.  C’est faux.  Le syndrôme métabolique est caractérisé par la présence de dérèglement hors-norme (donc au-delà du rang de normalité) de variables métaboliques telles l’hyperglycémie, une augmentation des taux de cholestérol, une diminution des taux du ‘bon’ cholestérol, et une augmentation de la pression sanguine.  A l’inverse, la batterie du poids allostatique comprend aussi des hormones de stress et certains marqueurs du fonctionnement du système immunitaire, ce qui n’est pas le cas du syndrôme métabolique.  De plus, la batterie du poids allostatique porte son attention sur les variables dont le dérèglement n’a pas encore atteint le seuil de détection médicale.

Des études récentes qui ont comparé la validité du syndrôme métabolique et celle du poids allostatique montrent que l’addition de variables liées aux hormones de stress et au fonctionnement du système immunitaire augmente de manière significative la valeur prédictive de la batterie du poids allostatique lorsque comparé au syndrôme métabolique.

Je tente depuis longtemps d’intéresser les médecins de famille aux nouvelles découvertes liées à la batterie du poids allostatique.  Qui sait, peut-être que ce livre réussira à atteindre plusieurs d’entre eux qui tenteront alors d’appliquer la méthode simple d’analyse de quartiles supérieurs pour le calcul du poids allostatique d’un patient.  Pour convaincre les médecins de l’utilité de cette mesure, permettez-moi de terminer ce chapitre en vous rapportant les résultats d’une personne âgée qui participait à l’une de mes études.  Dans cette étude, nous avons suivi sur une période de 10 ans un groupe de personnes âgées.  A chaque année, les participants venaient à l’Hôpital pour un bilan sanguin, une mesure des concentrations de l’hormone cortisol, et pour effectuer différents tests de mémoire.

Dans cet exemple, je vous présente 4 variables biologiques liées au poids allostatique que nous mesurions dans cette étude, soit le cortisol, le cholesterol, les triglycérides (une variété de lipides), et le glucose.  Nous avons mesuré ces 4 variables biologiques à chaque 2 ans, de l’année 1990 à l’année 1998.  Le tableau ci-bas vous montre les résultats d’une personne âgée.  Pour chaque variable, nous avons le rang de normalité tel que déterminé par les normes cliniques.  Pour chacun de ces variables, j’ai déterminé le quartile supérieur en faisant un calcul très simple.  Il suffit de soustraire le rang supérieur au rang inférieur et de diviser par 4 (pour trouver les quarts).  Ensuite, on soustrait la valeur du quart au seuil supérieur.  Un petit exemple. Pour le cortisol, le rang de normalité se situe entre 150 et 650.  On calcule donc le quartile supérieur par l’équation suivante :

650-150 = 500            (calcul pour déterminer le rang)

500/4 = 125                 (calcul pour détermines les quartiles)

650-125 = 525            (calcul pour déterminer le quartile supérieur)

Ainsi, pour le cortisol, le quartile supérieur équivaut à toute donnée supérieure à 525.  A chaque fois que cette personne présente une donnée se situant dans le quartile supérieur (par exemple, 576), je colore la donnée en bleu.  A chaque fois que cette personne présente une donnée qui se situe au-delà du rang de normalité (par exemple, 667), et qui devient donc anormale, je colore cette donnée en rouge.

Ci-bas, je vous présente les données pour cette personne.  On voit que dès l’année 1990, l’analyse du poids allostatique montre un poids allostatique de 3 chez cette personne.  Toutefois, aucune de ces variables ne dépasse le seuil de normalité, et on ne détecte donc aucune maladie.  Deux ans plus tard, le poids allostatique augmente à 4, et le taux de glucose commence à sortir en-dehors de la norme.  Le taux de glucose demeurera maintenant en-dehors de la norme pour les 7 années à venir, et un diabète sera alors détecté chez la personne.  Toutefois, à partir de 1994, un second système tombe sous le poids allostatique et on voit une valeur hors-norme en ce qui a trait au cholestérol.  La personne recevra donc un traitement anti-lipidique qu’elle combinera avec le traitement pour le diabète.   Au bout de 9 années, trois systèmes biologiques sont médicalement déréglés et présentent des données au-delà du rang de normalité (cholestérol, triglycérides et glucose).  Le système est en mode domino et le médecin devra prescrire plusieurs types de médications pour permettre de contrôler tous ces systèmes.

ANNEXES

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LIENS WEB

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